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TÉMOIGNAGE DE CATHERINE RÉTORÉ

"À l’âge de 11 ans, la pratique d’un instrument à vent m’a permis de prendre conscience de la respiration. Je sens alors une ivresse qui accompagne la sensation du flux, et aussi une souffrance dès que quelque chose se dérègle. Il m’arrive de ne pas aller au bout de mes phrases sans savoir pourquoi, ou encore que l’instant de l’inspiration soit laborieux et rende mon interprétation hachée. Pendant certains concours de fin d’année, toute la mécanique semble se coincer, je suis en panne, incapable de construire une colonne d’air correcte. Une sorte de panique m’envahit et accélère le chaos intérieur. Mes professeurs, excellents flûtistes et convaincus que je suis bonne musicienne me disent :
« Catherine ! Respire ! » Oui, mais où ? Quoi ? Comment ? 

Je prends un paquet d’air… Bien évidemment c’est pire, je me noie… J’ai travaillé plusieurs années dans le brouillard. Les uns parlaient de style, d’autres de son, de rythme, de musique, de mental, de psychologie, et quand ils parlaient de respiration… Mon dieu, au secours ! Je restais tributaire de la façon dont j’abordais les choses, au petit bonheur la chance, et perdais de plus en plus confiance en moi.

Vers 18 ans, je suis entrée au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris, il y avait un cours de respiration et phonation dirigé par Jean-Pierre Romond. Dès que je me suis mise au travail, j’ai senti que j’étais au cœur des choses et que tous les conseils qui m’avaient été donnés jusqu’alors n’étaient que malentendus. Jean-Pierre Romond connaissait son affaire sur un sujet totalement méconnu. La difficulté du chantier, à mon grand étonnement, ne m’a pas découragée. Au contraire, j’ai senti s’ouvrir devant moi une sensation d’immensité. Ma leçon a duré trente ans. J’ai toujours vu Jean-Pierre Romond avancer dans ses découvertes, rien de gelé dans son enseignement, rien de figé dans sa manière d’être et de comprendre. Il ne tolérait aucune zone d’ombre et nous disait souvent : « Vous devriez être une question en permanence. » Il se permettait de dire la vérité à n’importe quel élève là où régnait pas mal de démagogie. Il aimait l’humilité, il savait qu’elle était indispensable pour la réalisation de cette révolution intérieure. Il se méfiait de nos facilités, il considérait notre organisme - qui pour la plupart d’entre nous était démoli, et exigeait de nous que l’on y mette de l’ordre et que l’on s’attelle à le relever. « Tu es à l’envers » pouvait interrompre nos justifications quand nous rations un exercice. Le professeur montrait le chemin et levait les inhibitions : à nous élèves d’avancer vers la réussite, elle-même tributaire de la qualité de notre introspection. Jean-Pierre était à contre-courant du discours officiel sur la question respiratoire, il luttait sans compromis contre le bourrage d’air, le gonflage de ventre, l’écartement des côtes et l’importance systématique donnée à la capacité pulmonaire.

Le problème est que bien souvent la respiration est décrite par des personnes qui ne la maîtrisent pas. Celles qui respirent bien, en l’absence de sensation définie, ne peuvent pas l’enseigner. Jean-Pierre Romond était musicien, trompettiste, il avait vécu dans sa chair les erreurs respiratoires. Le verdict avait été sévère : au bout d’une vingtaine d’années de pratique, une courbature de lèvres s’était déclenchée, l’obligeant à « ranger l’instrument » et remettre tout à plat. Puis, il a rencontré Paule Sandra, fondatrice dans les années 50 à Paris d’une méthode de gymnastique respiratoire. Personne de génie et d’une grande précision, elle  s’adressait à beaucoup d’artistes confrontés à des problèmes apparemment insolubles et les rééduquait. Elle lui a permis de prendre son corps en main et de s’étudier avec précision de la tête aux pieds. Jamais il ne nous a caché ses périodes de difficulté, au contraire il les valorisait, car elles lui avaient donné la force d’entreprendre ce travail de mise à nu.

Il citait souvent le trompettiste Robert Pichaureau : « Un artiste sommeille en chacun, sans exception. Ses racines prennent force dans son être profond. Il appartient à chacun de faire cette remise en question qui assure l’évolution de l’être humain. » Cette pensée est à la base d’une pédagogie qui tient compte d’un respect profond pour la personne. Cette approche pédagogique s’apparente plutôt à un travail artisanal, un dispositif relevant d’une sorte de compagnonnage. Oui, ma leçon avec lui a duré trente ans, elle a été difficile, passionnante, déterminante. Ma dernière séance s’est déroulée en juillet 2007 auprès d’un être totalement épanoui et souriant. Il est décédé un mois plus tard.

Si une porte se refermait, une autre s’ouvrait, grâce à toute la vitalité et la confiance qui s’étaient déposées en moi. La pratique de l’expiration donne accès à un désir irrépressible d’avancer, d’incarner, et aujourd’hui de nombreux élèves de tous les âges et horizons partagent avec moi cet enseignement."